Un athéisme de fait

L’alpiniste, le marcheur est un homme qui conduit son corps là où son regard, ses yeux l’ont porté (Gaston Rébuffat). Le chrétien est dans cette démarche de foi. On voit le sommet et on a envie d’y aller. C’est un projet de vie !
Col des Aravis (Savoie) © Photo FV

Au siècle passé, il existait un athéisme militant. Jean-Paul Sartre, qui avait décidé que Dieu n’existait pas, en était une figure de proue. Aujourd’hui, un athéisme de fait règne, parfois même chez les croyants. Dieu, en effet, n’est pas seulement un concept, un mot à la lettre D du dictionnaire. Il est une expérience, une manière de vivre sa vie, une relation intime. La plupart des humains seront d’accord pour dire comme Jean d’Ormesson, dans ce qui est un des chapitres les plus courts de toute la littérature : « Soyons brefs, il y a autre chose que le monde » (1). Mais quelle place lui faisons-nous ? Plus guère.

Le prochain et Dieu

L’originalité de Jésus est certes d’avoir lié intimement l’amour du prochain à celui de Dieu, mais il donne à Dieu la première place. Au scribe qui lui demandait quel était le premier des commandements, il répondit. « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Les deux sont indissociables.

Saint Augustin faisait toutefois remarquer que si l’amour de Dieu est le premier dans l’ordre du précepte, l’amour du prochain est le premier dans l’ordre de l’exécution. Saint Jean dira d’ailleurs que celui qui prétend aimer Dieu sans aimer son frère est un menteur. Mais les deux restent liés, l’un n’allant pas sans l’autre aux yeux des chrétiens. Pour mettre Dieu à la première place, et le rencontrer en toute chose, il faut être passionné par lui. Dans un petit livre que je ne saurais trop conseiller, Laisse Dieu être Dieu en toi, le dominicain Jean-Marie Gueulette écrit : « Celui qui a, enracinée en lui, cette volonté de se donner à Dieu, de faire en lui toute la place à Dieu, le trouvera dans n’importe quelle manière de faire » (2). Le témoignage d’Etty Hillesum dans son journal illustre parfaitement cette conviction : « Si j’aime les êtres avec tant d’ardeur, c’est qu’en chacun d’eux j’aime une parcelle de toi, mon Dieu. Je te cherche partout dans les hommes et je trouve souvent une part de toi. Et j’essaie de fouiller dans les cœurs des autres pour te mettre au jour, mon Dieu » (15 septembre 1942) (3). Saisissant pour une femme qui vient de l’athéisme.

Comme on part en montagne

Je ne connais guère la haute montagne, mais je l’ai un peu découverte cet été dans les yeux de jeunes qui avaient décidé de s’y marier. Je me souviens les avoir vus partir en randonnée et en revenir tout illuminés. J’ai alors ressenti le désir de mieux connaître ces hauts sommets. Pour cela, il fallait que je m’y risque moi-même. De l’extérieur, la montagne reste intrigante, sans plus. A s’y enfoncer, à y passer la nuit en refuge, à aller toujours plus haut, on découvre le mystère de ces vastes espaces dont on n’a jamais fini de s’enchanter. Petit à petit, chaque vallée reçoit un nom, chaque fleur est associée à une saison, chaque bruit attire l’attention… Parler des Alpes à ceux qui ne les connaissent pas est difficile. On ne peut qu’inviter à en faire l’expérience. Et, souvent, celui qui est parti en montagne en revient brûlé par le soleil ! Ainsi en va-t-il du mystère de Dieu. Cela prend du temps, et cela demande de l’entraînement… Dieu demeurera une question de salon tant qu’on ne se sera pas risqué à la rencontre. « Maintenant, ce n’est point à prouver Dieu que nous allons occuper nos heures, mais à tâcher de le rencontrer« , disait Ernest Psichari, ce jeune écrivain français converti au catholicisme et tué en Belgique en 1914. Mais tant de choses ont aujourd’hui pris sa place. Nous sommes occupés ailleurs. Nous avons autre chose à faire ! Rassurons-nous ! Dieu ne nous confisque pas notre vie, il lui donne un surplus de sens. Mais s’il est oublié, la vie risque bien d’en devenir désenchantée, accumulation de tâches à accomplir et de loisirs à consommer… Avec lui, tout gagne en densité.

Charles DELHEZ, paru dans le journal Dimanche du 25 avril 2021.

(1) C’est une chose étrange à la fin que le monde, 2010, Pocket, p. 241.

(2) Cerf, Points, 2016, p. 60.

(3) Les écrits d’Etty Hillesum, Seuil 2008, p. 712.

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