Ouvrir les yeux sur l’invisible

L ’essentiel est invisible pour les yeux. » Cette phrase de Saint-Exupéry est bien connue. « Nous sommes encadrés d’invisible« , proclamait quant à lui le poète allemand Rainer Maria Rilke. Hélas, trop souvent nous nous disons « cartésiens » et atrophions notre vie en nous revendiquant du « je ne crois que ce que je vois« .

« L’esprit le sait : ce qui est invisible n’est pas étrange aux yeux de ceux qui veillent. » Gianni Esposito

Photo copie d’écran journal Dimanche

La raison pure et froide

N’assisterions-nous pas aujourd’hui à la « cicatrisation de la plaie cartésienne« , à la fin de cette tyrannie de la raison pure et froide ? Dans son Vivre avec l’invisible, Marie de Hennezel, qui fut la confidente de François Mitterrand, y travaille. Elle nous invite à renoncer à l’idée que nous pouvons tout voir, tout maîtriser, tout contrôler. Nous pouvons en effet vivre avec cet invisible qui est au fond de nous, au-delà de nous, et tisser des liens avec lui. Ce besoin d’invisible, estime-t-elle, n’implique pas nécessairement une foi religieuse, perdue par beaucoup aujourd’hui. Il s’agit d’un sentiment naturel.

« Nous avons à l’intérieur de nous un espace dans lequel les frontières de la raison ne jouent pas« , déclarait-elle récemment à La Libre Belgique. Hélas, notre culture hyper-scientifique a établi une frontière étanche. Or, dit-elle encore, celle-ci est poreuse. Un homme comme le psychiatre suisse Jung, qui revient à la mode, l’avait bien compris. « C’est une illusion commune de croire que ce que nous connaissons aujourd’hui représente tout ce que nous ne pourrons jamais connaître. » Il n’hésitait pas à parler de l’âme, s’opposant ainsi à la vision matérialiste de son ancien maître Freud qui, lui, considérait la psychanalyse comme relevant de la matière seule.

Lire la suite

Quel est l’avenir du christianisme ?

Immergés que nous sommes dans notre époque, nous n’avons pas encore pris conscience que nous étions face à des transformations d’ordre civilisationnel très profondes.

L’église d’Our

Le christianisme ne se transmet plus dans nos contrées, sinon comme une culture au même titre que Molière. Les églises deviennent des musées pour touristes. Les chiffres de toutes les enquêtes l’attestent. Le système sociétal des siècles précédents – la “civilisation paroissiale”, disent les sociologues – est arrivé à son terme. Chantal Delsol vient de publier un livre au titre sans ambiguïté : La fin de la chrétienté, chrétienté qu’elle définit comme cette civilisation constituée autour et sous la houlette du christianisme, puis du catholicisme. Il s’agit d’un mode d’être à la fois total et cohérent, qui sous-entend la croyance religieuse, les mœurs, les lois, les lieux de pouvoir, le modèle familial, etc.

D’autres publications récentes vont dans ce sens : L’Église brûle (Andrea Riccardi, 2022), Le salut de l’Église est dans sa propre conversion (Mgr Joseph Doré, 2021), Le christianisme a-t-il encore de l’avenir en France ? (Guillaume Cuchet, 2021). Ou encore l’ouvrage du cardinal Jozef De Kesel : Foi et religion dans une société moderne (2021). Nous arrivons à la fin d’un christianisme sociologique où on baptise l’enfants en vue d’une fête familiale, avant de s’empresser de ne plus fréquenter la communauté dans laquelle on disait vouloir le faire entrer ! La sécularisation a entraîné la disparition de ce “religieux profane”, de cette culture commune aux croyants et aux non-croyants.

Un avenir tout différent

Même si l’Islam semble très présent (6 à 7 % en Belgique), c’est le phénomène religieux qui est en recul. La non-affiliation est devenue le régime normal. La majorité des jeunes sont aujourd’hui désaffiliés de toutes religions ou non-affiliés, ils en sont à la deuxième voire la troisième génération de la rupture. Le jésuite Joseph Moingt disait voir un peu partout des signes du “couchant de toutes les religions”. Déjà, en 1944, Dietrich Bonhoeffer pronostiquait : “Nous allons au-devant d’une époque totalement non religieuse.

Lire la suite

Frontières et limites

Ou pour le dire autrement, doit-on nier la différence des sexes et des genres ?

Dans notre civilisation moderne, les humains intensifient leur désir de toute-puissance jusqu’à dépasser des limites. Comme nier la différence des sexes et des genres.

Copie d’écran La Libre.be © Pexels

Les frontières de notre vie sont sans cesse à franchir pour élargir notre horizon. Mais n’y a-t-il pas des limites à respecter ? Or le rêve des humains a toujours été de les transgresser. Dans toutes les cultures, des mythes traduisent ce désir de toute-puissance, source de malheur. Adam et Ève, dans la Bible, veulent devenir comme des dieux et de même, chez les Grecs, Prométhée.

La difficulté est de bien distinguer les frontières et les limites. Notre civilisation moderne mondialisée peine à cet exercice, et ce pourrait être sa perte. L’illustration la plus facile est celle de notre consommation. Durant l’été, nous avons franchi la date où notre Terre commence, cette année, à vivre à crédit. Le 28 juillet était le jour du dépassement global et, en Belgique, c’était déjà le 26 mars. Il nous faut actuellement, au niveau mondial, 1,45 planète pour assurer notre mode de vie. Nous avons dépassé les limites.

Au niveau technoscientifique, nous connaissons la même tentation. Tout ce qu’il est techniquement possible doit-il être fait ? Les Grecs parlaient de l’hybris, cette démesure qui s’enracine dans l’orgueil. C’est contre elle que les sagesses antiques et les prophètes d’aujourd’hui nous mettent en garde. On n’arrête sans doute pas le progrès, mais encore faut-il l’orienter.

Lire la suite

Le linceul de Turin est-il la preuve de la résurrection de Jésus ?

Une nouvelle technique de datation par des rayons X révèle que le linceul daterait bien de 2 000 ans. Et alors ?

Le linceul de Turin, ce drap de lin qui aurait recouvert le corps du Christ après sa crucifixion, est l’objet d’intenses et acharnés débats depuis des décennies. Certains s’y opposent au nom de la science, et d’autres y verraient volontiers une preuve de la résurrection.

« La foi est une simple confiance en Dieu. Elle ne nous offre pas de réponses toutes faites, mais nous donne de ne pas être paralysés par la peur ou le découragement. Elle nous engage, nous met en route. Par elle, nous saisissons que l’Évangile élargit un horizon d’espérance au-delà de toute espérance… »  Frère Aloïs de Taizé

Une nouvelle technique de datation par des rayons X, vient-on d’apprendre ce 11 avril 2022, révèle que le linceul daterait bien de 2000 ans. Voilà qui contrarie les résultats de la datation précédente, au carbone 14, qui concluait qu’il n’avait que sept siècles et était donc une construction médiévale. La récente mesure enlève des arguments à ceux qui recherchent, au nom de la science, des supercheries dans la religion. Il ne serait pas absurde d’y croire, il peut être raisonnable d’y apporter crédit.

Avec ce linceul, aurait-on enfin la preuve de la résurrection ? Modérons nos transports. Ce qui me réjouit, ce n’est pas d’avoir un argument de plus en faveur de la résurrection, mais une objection de moins à propos du linceul. Même si la récente technique semble plus fiable que la précédente et arrive à des conclusions plus conformes à cette croyance, la recherche n’est pas achevée. Il faut continuer l’examen. La science arrive rarement à des réponses définitives.

Heureusement, la méthode aux rayons X, beaucoup moins destructive (un morceau de lin de 0,5 mm sur 1 mm a suffi), peut être répétée plusieurs fois. D’autres mesures sur le même échantillon pourront être confiées à d’autres laboratoires en vue d’une confirmation. De plus, d’autres mystères entourent encore le fameux linceul, et heureusement. J’aime les mystères qui demeurent. Ils me gardent de la tentation de toute-puissance.

Lire la suite

Pour un mariage « mixte » entre catholiques et protestants (1/2)

Cet article est écrit au terme de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Il est le fruit de respectivement, Laurence FLACHON, pasteure protestante et Charles DELHEZ, prêtre catholique. Et si l’on s’émerveillait de tout ce que l’on a en commun ? Un texte à deux mains.

Cette chronique est née d’une célébration commune à l’occasion d’un mariage « mixte » (protestant-catholique). Les fiancés avaient voulu nous associer. Nous avons ainsi posé un geste audacieux, tel que le souhaitait le pape François lors de sa récente rencontre avec le Patriarche Chrysostome II, à Chypre. Les participants en furent tout heureux.

Que nos différences soient non pas niées, mais réconciliées. Donnons-nous la main, comme Jacques, Pierre et Jean donnèrent la main à Paul et Barnabas en signe de communion (cfr Ga 2, 9), après le conflit de Jérusalem. Historiquement, d’ailleurs, le christianisme a été d’emblée pluriel.

« L’œcuménisme ne peut être rien d’autre aujourd’hui que la reconnaissance et l’acceptation sereine que l’unique tronc a multiplié ses branchages »
Copie d’écran journal La Libre © Serge Dehaes

Un arbre aux multiples branchages

C’est cette diversité que nous avons à apporter au monde, et non pas nos divisions. La diversité, en effet, n’empêche pas l’unité, mais lui donne plus d’éclat. « L’œcuménisme ne peut être rien d’autre aujourd’hui que la reconnaissance et l’acceptation sereine que l’unique tronc a multiplié ses branchages » (1), a pu écrire le philosophe et théologien Yves Ledure.

Et si cette diversité n’était pas seulement le fruit de nos divisions, mais aussi l’expression de l’infinie richesse de l’Évangile ? Ne nous faut-il pas oser enfin croire que c’est un même Esprit qui nous anime (cfr 1 Co 12, 4-11) et qui nous conduit vers la vérité tout entière (cfr Jn 16, 13) ? Au IVe siècle, Basile de Césarée faisait remarquer que « c’est la même eau fraîche et féconde qui tombe sur le champ afin que fleurisse rouge le coquelicot, rose la rose et bleu le bleuet« .

Lire la suite