Immergés que nous sommes dans notre époque, nous n’avons pas encore pris conscience que nous étions face à des transformations d’ordre civilisationnel très profondes.

L’église d’Our
Le christianisme ne se transmet plus dans nos contrées, sinon comme une culture au même titre que Molière. Les églises deviennent des musées pour touristes. Les chiffres de toutes les enquêtes l’attestent. Le système sociétal des siècles précédents – la “civilisation paroissiale”, disent les sociologues – est arrivé à son terme. Chantal Delsol vient de publier un livre au titre sans ambiguïté : La fin de la chrétienté, chrétienté qu’elle définit comme cette civilisation constituée autour et sous la houlette du christianisme, puis du catholicisme. Il s’agit d’un mode d’être à la fois total et cohérent, qui sous-entend la croyance religieuse, les mœurs, les lois, les lieux de pouvoir, le modèle familial, etc.
D’autres publications récentes vont dans ce sens : L’Église brûle (Andrea Riccardi, 2022), Le salut de l’Église est dans sa propre conversion (Mgr Joseph Doré, 2021), Le christianisme a-t-il encore de l’avenir en France ? (Guillaume Cuchet, 2021). Ou encore l’ouvrage du cardinal Jozef De Kesel : Foi et religion dans une société moderne (2021). Nous arrivons à la fin d’un christianisme sociologique où on baptise l’enfants en vue d’une fête familiale, avant de s’empresser de ne plus fréquenter la communauté dans laquelle on disait vouloir le faire entrer ! La sécularisation a entraîné la disparition de ce “religieux profane”, de cette culture commune aux croyants et aux non-croyants.
Un avenir tout différent
Même si l’Islam semble très présent (6 à 7 % en Belgique), c’est le phénomène religieux qui est en recul. La non-affiliation est devenue le régime normal. La majorité des jeunes sont aujourd’hui désaffiliés de toutes religions ou non-affiliés, ils en sont à la deuxième voire la troisième génération de la rupture. Le jésuite Joseph Moingt disait voir un peu partout des signes du “couchant de toutes les religions”. Déjà, en 1944, Dietrich Bonhoeffer pronostiquait : “Nous allons au-devant d’une époque totalement non religieuse.”
Pour Chantal Delsol, si le christianisme veut retrouver une place, l’exemple et le témoignage sont les seules armes légitimes. Il faudra du temps et de la patience. Trois siècles furent nécessaires pour que le christianisme sorte des ombres de l’Empire romain, mais la société de l’Antiquité dans laquelle il est né était bien différente de celle dans laquelle il doit renaître. Le terrain n’est plus vierge, mais accidenté tant par l’évolution de la société que par les ratés de l’histoire de l’Église et ses scandales. L’avenir sera tout différent du passé.
Le christianisme à redécouvrir est celui de l’Évangile, celui de l’inversion de nos évidences premières. Il serait bon de relire les quatre documents fondateurs de Matthieu, Marc, Luc et Jean – qu’hélas si peu de chrétiens ont lus en entier ! – pour percevoir à quel point Jésus demande un retournement total, sans demi-mesures. Comme le levain dans la pâte, le sel dans la nourriture, ce christianisme ne peut être que minoritaire, mais doit rester missionnaire.
Au service de ce monde
Immergés que nous sommes dans notre époque, nous n’avons pas encore pris conscience que nous étions face à des transformations d’ordre civilisationnel très profondes. C’est dans ce monde différent, celui de l’intelligence artificielle et du mythe du transhumanisme, qu’il faudra être chrétien.
L’avenir du christianisme est sans doute tout simplement dans le service de ce monde qui se cherche. Sa mission : lui apporter ce qui demeure une bonne nouvelle, l’Évangile de Jésus de Nazareth. Comment ? Le temps est au discernement. Ce n’est sans doute pas par l’institution qu’il faudra commencer, mais par la conversion de chacun de ceux qui veulent se situer dans la mouvance du Christ et entretiennent avec lui une relation intérieure. “L’important, écrivait Joseph Moingt dans Croire quand même, c’est que, dès maintenant, sans attendre des élans ou des consignes venus de haut, des chrétiens fassent vivre l’Évangile là où ils sont et se réunissent entre eux pour vivre de l’Évangile. Cela aura un effet de désinstitutionnalisation qui permettra à l’institution de se repositionner autrement.” Telle est mon espérance.
Une chronique de Charles Delhez parue dans Lalibre.be le 28/11/2022

Dernier livre paru : Église catholique, renaître ou disparaître. Éditions jésuites, 2022.