Le confinement social, dont il nous faut sortir, nous amène à réfléchir sur d’autres formes de « sorties » devenues essentielles. De quelle Eglise rêvons-nous ? Témoignage d’Enzo Bianchi, fondateur de la communauté œcuménique de Bose (Italie) en 1968 qui réunit une quarantaine de Frères et autant de Sœurs.

Au début du IIe siècle, Ignace d’Antioche écrivait qu’« il est nécessaire de se montrer chrétien et non seulement de dire qu’on l’est ». Ces paroles exigent des chrétiens une cohérence entre leur foi et leur vie ; mais elles suggèrent aussi que les chrétiens, parmi les hommes, doivent avoir une visibilité. Cette visibilité individuelle et collective, c’est-à-dire communautaire, ecclésiale, est nécessaire parce que la foi ne peut rester reléguée dans l’intimité ; le fait d’être visible est la première condition pour transmettre la bonne nouvelle. Dès le commencement du christianisme, les petites communautés chrétiennes, minoritaires parmi les païens, étaient des minorités créatives, capables d’éloquence, malgré la situation d’hostilité et de persécution des premiers siècles.
Mais veillons à ne pas confondre la visibilité avec une exhibition programmée : il ne s’agit pas de se faire voir à tout prix. Être visible, c’est plus simplement renoncer à la tentation de fuir les hommes, éviter de vouloir « se cacher ». Les chrétiens ne peuvent oublier les mots de Jésus : « Vous êtes la lumière du monde. On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau » (Mt 5,14-15). Jésus exige des disciples une présence visible et un témoignage transparent de leur différence par rapport au monde. Mais cela n’autorise en aucun cas à attendre d’être admiré des hommes : « Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards » (Mt 6,1)…
Une visibilité exempte donc à la fois de la tentation d’enfouissement et du désir de se mettre en avant : cet équilibre est délicat et dépend avant tout de la pureté du cœur des chrétiens. Mais à travers quoi cette visibilité passera-t-elle ? Puisqu’elle ne constitue pas une fin en soi, elle s’exprimera surtout dans l’action sociale, dans le service de la charité sous ses formes très diverses, qui vont de la dimension politique à celles toutes quotidiennes. Beaucoup de conversions, dans l’Église ancienne, se produisaient grâce au témoignage de l’amour réciproque des croyants et à leur capacité de charité envers tous.
Aujourd’hui, alors que l’indifférence envers le christianisme est grande, évitons d’y réagir par une visibilité médiatique, artificiellement construite : l’Église n’est pas là pour se montrer elle-même, mais pour être signe du mystère du Christ. Elle ne s’impose pas, mais elle propose ; et cela, non pas pour qu’on la voie, mais pour indiquer Jésus-Christ.
Extrait de ‘Quelle visibilité pour l’Église ? Enzo Bianchi – Panorama, mars 2014‘
« Au cours des décennies, le monastère de Bose joua un rôle important dans le dialogue œcuménique, en particulier avec les Eglises d’Orient. Pour beaucoup d’Italiens, cette communauté devint un point de repère spirituel. Enzo lui-même devint une personnalité charismatique exerçant une influence en dehors de l’Italie. La communauté elle-même essaima et fonda quelques autres fraternités. En 2017, Enzo Bianchi jugea que le temps était venu de transmettre la direction de la communauté à quelqu’un d’autre. »
Extrait de ‘L’ Appel d’avril 2021 – Charisme et institution – Armand Veilleux’