Le bon Samaritain est un étranger et donc une figure du migrant. Il aide un homme blessé sur son chemin, le soigne, puis poursuit sa route. Mais le bon Samaritain, lui, est-il soigné ? Peut-être bien…

Comme beaucoup de chrétiens, j’aime lire les Évangiles. Bien sûr parce que je suis croyant, que ces textes inspirés par la vie de Jésus Christ contiennent son enseignement, que cette lecture nourrit ma Foi. Elle est l’occasion de prière et de méditation. Mais j’aime aussi mâcher cette lecture, la ruminer. Parce que ces textes ont aussi une qualité littéraire incontestable à laquelle je suis très sensible. Amoureux des livres, je le suis aussi du Livre par excellence. J’en aime la poésie, l’économie et le style, les conclusions parfois abruptes qui incitent au questionnement, une austérité qui tend à la prodigalité.
La toute récente encyclique Fratelli Tutti consacre un chapitre à un commentaire de la parabole du Bon Samaritain, ce qui m’a incité à aller relire avec une grande attention le texte des Évangiles et à confronter ma lecture personnelle à celles de Fratelli Tutti.
On connaît la parabole. Un homme est blessé et gît sur la route entre Jérusalem et Jéricho, en Judée. Un prêtre et un lévite le voient mais passent leur chemin sans s’arrêter. Un Samaritain, lui, s’arrête, soigne le blessé, le conduit dans une auberge, paye pour son logement de fortune puis s’en va, sans attendre de remerciements.
Je souhaite partager quelques pistes de réflexion.
Un court regret. L’encyclique relève justement bien que les deux promeneurs indifférents sont un prêtre et un lévite et sont donc des dignitaires religieux. Elle déplore cette tentation de certains croyants de la réserver à eux seuls, à leur relation personnelle avec Dieu. Bien vu car ce danger nous guette tous. Je regrette cependant que l’encyclique ne profite pas de ce moment pour proclamer sa repentance pour les aveuglements volontaires de l’Église que chacun connaît et qui se perpétuent. Tant de clercs et de laïcs détournent les yeux de situations dramatiques que vivent les blessés de la vie, ceux qui ont été contraints à des avortements, des divorces, des abus sexuels. Le Christ, dès cette parabole, nous met en garde et nous admoneste. Mais l’encyclique se contente à mes yeux de déplorer ces manquements, quand j’aurais voulu qu’elle condamne. Elle me semble en retrait de bien des déclarations du pape François.
Mais l’envie d’aller plus loin
L’encyclique loue bien sûr le bon Samaritain de son action, nous engage nous aussi à soigner les blessés, à les accueillir. Nous en convenons tous. Mais il est remarquable de noter que le bon Samaritain n’accueille pas le blessé ; il le soigne puis le fait soigner, il paye de sa personne puis de sa poche. Et puis il s’en va. Il s’est donné un rôle de médecine humanitaire et d’urgence. C’est très beau et de MSF à des milliers de bénévoles, ici et maintenant, en Afrique, en Méditerranée, dans nos hôpitaux ou nos maisons de repos sont innombrables ceux qui s’inspirent du même sentiment du don (c’est bien intentionnellement que je ne parle pas de « sentiment du devoir » parce que le merveilleux dans leur démarche est qu’il s’agit bien d’un don). Le bon Samaritain s’en va. Il abandonne le blessé à son destin.
L’encyclique semble nous dire que nous devrions accueillir, et condamne (cette fois-ci) ceux qui par égoïsmes nationalistes se refusent à l’accueil et chacun comprend bien que c’est une plaidoirie en faveur des migrants. On peut le faire, bien sûr, mais ce n’est pas dans le texte de la parabole et l’on se retrouve hors propos. Et surtout on ne tente pas d’élucider une question irritante : pourquoi le bon Samaritain ne va-t-il pas plus loin ? Pourquoi limite-t-il sa générosité ? J’avoue ne pas le savoir. Mais j’aimerais comprendre.
Et puis l’encyclique ne décrypte pas vraiment l’identité de ce bon Samaritain et passe, me semble-t-il, à côté d’un événement stupéfiant. Le bon Samaritain est en effet un étranger et donc une figure du migrant. Les Samaritains sont les voisins des Juifs qui les considèrent comme hérétiques et méprisables. Il est donc le différent en terre de Judée, qui trottine sur le bord de la route de Jérusalem à Jéricho, humble, effacé, cherchant à surtout ne pas se faire remarquer dans un pays qui le considère comme impur, minable et sans doute, tant qu’à faire, mangeant notre pain, voleur, violeur et vicieux assurément. Un allochtone donc, comme on dit parfois de nos jours. C’est pourquoi il préfère marcher dans le fossé, celui-là même où il va soudain tomber face à face avec le blessé. Le bon Samaritain, l’étranger, est bien sûr le personnage principal de la parabole, mais il est aussi cette pierre de voûte qu’avaient rejetée les bâtisseurs. Et quelle claque dès lors, quelle inversion de nos lectures et de nos intuitions ? Ces étrangers seraient-ils eux aussi le sel de la terre ? La parabole dit clairement que c’est le misérable qui apporte la miséricorde ? Lisez et voyez.
Enfin Jésus demande en conclusion à un docteur de la Loi de déterminer qui a le mieux respecté la loi d’aimer son prochain ? Le docteur affirme, comme nous, que ce miséreux de Samaritain est bien le Juste. Cela nous semble tout naturel mais je retiens qu’il s’est passé quelque chose : le docteur s’est à cet instant retourné ou converti.
Le Christ, certes, raconte des histoires simples. Dans cette parabole, où nous sommes ravis qu’il semble river son clou au docteur et « gagner » une polémique par une astuce dialectique, nous ne voyons peut-être pas l’essentiel, le fait que Jésus guérisse ce docteur de son aveuglement par une simple histoire.
Un moyen par lequel Jésus guérit
Nous sommes ici au cœur de la Foi qui nous retourne et qui nous offre la possibilité, le goût, la tentation de nous convertir.
Et Jésus nous révèle non seulement qui est notre prochain mais il nous rend conscients que l’étranger, à son tour, nous considère comme ses prochains à lui, que nous sommes déjà le prochain dans le cœur de l’étranger. Les nantis peuvent recevoir des exclus. Ainsi la périphérie, que le Pape nous invite par ailleurs à découvrir et à soigner, est-elle la source de guérison pour nous-mêmes. Certains de mes amis soignent les malades ; beaucoup savent d’expérience que ces malades les guérissent eux, les bien portants, de leurs égoïsmes, de leurs vanités, de leurs orgueils. La parabole, elle, nous invite à nous mettre au service et surtout à accueillir le don que nous recevrons des exclus, car c’est aussi la périphérie qui nous sauve.
Oui, la lecture des Évangiles est pleine d’enseignements parfois décoiffants.
Une opinion d’André Querton parue dans La Libre
André Querton est écrivain, auteur de récits inspirés de l’Évangile, il accompagne les médias catholiques belges francophones.