
Faut-il qu’ils ne reconnaissent pas à la spiritualité et l’exercice des cultes une dimension « essentielle » ?
Condamné par la maladie, un politicien de souche chrétienne me confia que sa carrière l’avait éloigné de la spiritualité. Histoire tragiquement banale. La tyrannie de l’urgence, le tourbillon du pouvoir et l’ivresse médiatique distraient d’un chemin d’intériorité. Face aux questions de fond, nombre de politiques maquillent leur vide par des lieux communs. Faut-il, dès lors, s’étonner qu’en confinement, ils ne reconnaissent – pas plus qu’à la culture – à la spiritualité et l’exercice des cultes, une dimension proprement « essentielle » à la santé mentale d’une société ?
Des exceptions existent. Je pense ainsi à ces élus du peuple se dévoilant ouvertement comme disciples du Christ. Le fait qu’ils appartiennent à des partis différents et s’opposent parfois durement dans l’arène publique, contredit les anticléricaux dogmatiques qui fantasment que tout bon catholique marche au pas, recevant ses ordres de Rome ou de Malines. Il existe pareillement des politiciens s’investissant dans d’autres chemins de foi.
Une authentique réflexion spirituelle se rencontre également chez des mandataires agnostiques ou athées. Ainsi, cet ami philosophe devenu député, qui interroge la religion au nom de la raison. En 2016, dans les colonnes de La Libre, il reprenait à son compte la boutade du mathématicien Bertrand Russell (1872-1970), argumentant que le fait que l’on ne puisse prouver qu’aucune théière n’est en orbite quelque part entre Mars et Jupiter, ne veut pas dire que l’idée soit vraisemblable ; qu’il en allait de même pour la pensée de Dieu. (Peu après, je lui répondais dans ce même journal, que Russell commettait l’erreur logique de confondre une théière, soit un objet fini et limité dans l’espace-temps, avec Dieu qui est par définition – qu’Il existe ou non – infini et transcendant les questions spatio-temporelles.) Autre politicien s’exprimant sur le sens de la vie, ce puissant chef de parti flamand, passionné par la Rome antique, qui déclara en décembre dernier dans la Gazet van Antwerpen : « Je pense que la foi a été créée par l’angoisse devant la mort », privilégiant ici un argument plus psychologique et émotionnel.
Qu’est-ce qui départage croyants et athées ?
L’enjeu spirituel concerne tant électeurs qu’élus. Qu’est-ce qui départage croyants et athées ? Un rapport à l’enfance, il me semble. Russell voyait en la religion un reliquat de l’intelligence infantile et dans la science son état adulte. Et notre politicien flamand raisonne en homme qui ne croit plus au grand saint Nicolas depuis la sortie de l’enfance et dès lors, plus non plus au petit Jésus, avec l’entrée en adolescence. Pour l’athée, est adulte celui qui s’éveille des rêves de l’enfance, pour voir le monde tel qu’il est : froid et aveugle. Le croyant est, quant à lui, persuadé que l’adulte advient en s’appropriant le meilleur de l’enfance : la capacité d’émerveillement et de confiance. « Je te bénis, Père, ce que tu as caché aux sages et aux intelligents, tu le révèles aux enfants. » (Matthieu 11, 25) Pour le croyant, le monde est parfois injuste et cruel, mais le réel a un sens (sinon, pourquoi en parler ?) et les actes ont une assise morale (le bien n’est pas le mal). Cela pointe vers un Mystère fondateur que d’aucuns appellent Dieu. Et si les hommes sont des êtres de relation, capables d’aimer, la raison pourrait en être que ce mystère est une infinie relation d’amour, que d’aucuns appellent la Trinité.
La démocratie se nourrit de décideurs adultes, héritiers du meilleur de l’enfance. Qu’ils soient croyants ou non n’est pas déterminant. À condition d’oser s’investir. Pour résister durablement aux sirènes infantilisantes des populistes, plutôt que de ne surfer que sur l’écume de l’actualité, les politiques doivent s’immerger dans la profondeur spirituelle de l’existence. Et en témoigner – comme le fit le nouveau président des États-Unis à l’occasion de son investiture.
Article de l’Abbé Éric de Beukelaer paru dans la Libre.be du 4 février 2021.