La crise sanitaire pousse les catholiques dans leurs derniers retranchements

Analyse Bosco d’Otreppe Vendredi soir, le Comité de concertation fut un véritable coup de massue pour l’Église. Sans dialogue préalable avec les représentants des différents cultes, le Comité a prolongé la suspension des célébrations publiques jusqu’au 15 janvier, effaçant de facto les messes de minuit de l’agenda des catholiques.

 « Nous devons nous demander si nous nous comportons comme des idéologues qui rentrent dans un combat d’idées ou bien comme des hommes de foi qui accueillent cette situation de crise comme une occasion de renouveler le témoignage de notre attachement, non pas à un rite, mais à une source infinie de joie et au Christ qui nous fait vivre. »

Vendredi soir, le Comité de concertation fut un véritable coup de massue pour l’Église. Sans dialogue préalable avec les représentants des différents cultes, le Comité a prolongé la suspension des célébrations publiques jusqu’au 15 janvier, effaçant de facto les messes de minuit de l’agenda des catholiques. Du jamais-vu. Même pendant les guerres.

Entre l’acquiescement à des mesures jugées nécessaires, et l’opposition frontale à une décision “ disproportionnée ”, le cœur des catholiques balance. Tous cependant se retrouvent autour d’une même stupeur : à aucun moment, vendredi soir, le monde politique n’a évoqué les cultes. Il fut bien question de Noël – sinon que de cela – mais dans ses dimensions commerciale, économique et familiale, non dans sa dimension religieuse. Une absence qui sonne, selon de nombreux courriers reçus par La Libre, comme le symptôme d’une société “ matérialiste et individualiste ”, gavée de consommation mais incapable de faire droit à la soif de sens qui l’habite. “ Je suis étonné que les cultes n’aient pas été cités, réagissait dimanche le porte-parole des évêques Tommy Scholtes.

C’est une absence de parole qui fait mal. ” Ce mardi, les évêques précisaient leur pensée en exprimant “ leur solidarité par rapport aux mesures du gouvernement ”, mais en insistant sur leur souhait de “ reprendre le dialogue avec les services gouvernementaux compétents pour se concerter sur la reprise des célébrations publiques.”

Lieux aérés, mesures respectées, permission de célébrer chez nos voisins européens… Les arguments sont nombreux chez ceux qui s’opposent à ce lockdown. Pour autant, quelle que soit la décision finale prise à son sujet, parions que cette crise marquera l’histoire du catholicisme en Belgique. Elle met au jour, parfois de manière conflictuelle, toutes les questions latentes et enfouies depuis des décennies. Elle oblige les catholiques à aborder des questions parfois existentielles. Sens de la messe, rôle des prêtres, des paroisses, statut de minorité, posture sociétale… Tout est réinterrogé.

1.La messe est-elle si importante ?

C’est la question centrale, la plus profonde et la plus complexe. L’impossibilité de se rendre à la messe est-elle grave pour un catholique ? Bien sûr, tout pratiquant regrette sa suspension : la messe n’est pas une simple prière commune. Le catholique croit que Dieu y est réellement présent, qu’il peut l’y retrouver et puiser des forces spirituelles pour vivre de sa foi et s’engager dans le service aux autres. Telle est la messe : “source et sommet” de la vie chrétienne qui permet de “faire Église” et de ne pas vivre sa foi de manière individuelle ou isolée. Pour autant, si l’on schématise, deux sensibilités sont apparues à l’occasion de ce confinement.

La première souligne que l’on peut “réellement” rencontrer le Christ par d’autres moyens : dans le service aux pauvres, dans la lecture de la Bible, par la prière en famille… La suspension des messes serait donc l’occasion d’engager un geste de “solidarité” envers les personnes touchées par la crise sanitaire, mais aussi de redécouvrir sa foi sous les multiples formes qu’elle peut prendre. Ceux qui partagent ce regard redoutent que derrière la défense absolue de la messe engagées par certains catholiques, se cachent une superficielle “consommation” d’un sacrement ou un rétrécissement de la foi à la seule messe, réduite à un “talisman”, à un “remède spirituel”.

En face, les tenants de l’autre sensibilité rappellent que si Dieu est effectivement présent dans le pauvre, la Bible, l’assemblée de priants… il est “excellemment” présent dans l’hostie. Ils soulignent que la messe ne coupe pas des autres dimensions de la foi mais qu’elle la nourrit de manière indépassable, qu’elle permet de la vivre pleinement en “communiant” avec Dieu. Impossible donc de la snober et de risquer de la relativiser : il est légitime de se battre pour elle.

Bien sûr, tous les pratiquants souhaitent retrouver la messe, mais ces divergences de vues portent néanmoins sur un des points les plus essentiels du catholicisme qu’est le statut de la messe. “ Quelque chose d’important se joue autour de cette réflexion ”, témoigne un prêtre. On y retrouve notamment le vieux débat sur la foi et la religion. La seconde est-elle nécessaire à la première en lui offrant un socle émancipateur ? Ou est-elle un carcan qui étouffe la spiritualité individuelle ? Les questions qui ont émergé durant le confinement interrogent donc l’Église jusqu’au cœur de sa propre foi, et renvoient chaque croyant à ses pratiques. “ Ce qui se joue en ces temps difficiles, explique le prêtre et théologien Alphonse Borras, c’est de voir quels sont les moyens que les catholiques se donnent pour humaniser ce monde, se mettre au service des autres, tisser une relation personnelle avec Dieu et continuer à devenir chrétiens.” Voilà les questions auxquelles le confinement, dans un redoutable examen de conscience, invite les catholiques.

2. Le catholicisme, un lobby comme un autre ?

L’absence de communication à propos des cultes lors du Comité de concertation fut un coup de semonce pour les croyants tant elle souligna l’invisibilisation de la foi. L’époque de la chrétienté est révolue depuis longtemps, mais elle rejaillit au grand jour. Le coup est dur. “ Les religions disparaissent du paysage… ni essentielles, ni non essentielles. Que faire pour exister ? ”, s’interrogeait sur Facebook le professeur de théologie pratique à l’UCLouvain, Arnaud Join-Lambert. La question n’est pas tant identitaire. Elle témoigne plutôt de croyants soucieux de maintenir la dimension spirituelle au cœur des débats sociétaux. Alors comment réagir ?

De quelle posture s’emparer ? Les catholiques doivent-ils devenir un lobby comme les autres, implorant ou menaçant en justice un gouvernement pour bénéficier d’avantages corporatistes ? Pour l’Église, il en est hors de question. Son objectif a toujours été de contribuer au bien commun et non de défendre un bastion communautaire. C’est pour cela que les évêques marchent sur des œufs, cherchant le juste équilibre dans leurs revendications, pris dans un conflit de valeurs entre les normes à respecter pour le “bien sanitaire général”, et la nécessité tout aussi sociétale – à leurs yeux – de pouvoir librement pratiquer le culte. Laurent Landete, directeur du Collège des Bernardins, un lieu de formation catholique à Paris, résumait bien dans le journal La Croix la difficulté de trouver le bon ton pour l’Église. Il avertissait les siens : “ Nous pouvons parfois avoir la tentation de la contre-culture mais je pense qu’elle n’est jamais bonne car notre appel est de témoigner à tous de notre espérance. Nous devons nous demander si nous nous comportons comme des idéologues qui rentrent dans un combat d’idées ou bien comme des hommes de foi qui accueillent cette situation de crise comme une occasion de renouveler le témoignage de notre attachement, non pas à un rite, mais à une source infinie de joie et au Christ qui nous fait vivre. ”

Mais comment faire ? Le catholique cherche encore sa place au cœur du XXIe siècle. La réaction hésitante de l’Église face au lockdown des cultes en est le témoignage.

3. Un tournant à ne pas manquer

“Kits de l’Avent” constitués de bougies, textes et calendriers distribués aux paroissiens pour prier seul ou en famille, drive-in solidaires pour les plus pauvres, maraudes, messes en streaming, chaînes téléphoniques pour garder le contact avec les plus isolés, visites des malades, formations en ligne, confection de crèches sur les parvis, ouverture des églises… Au fil des mois, si certaines paroisses restent atones, créant un sentiment d’abandon chez leurs paroissiens, et se condamnant ainsi à terme à la disparition, de nombreuses autres rivalisent au contraire d’imagination pour maintenir et enrichir le lien communautaire. Celles-ci pourraient connaître un regain et jouer un rôle spirituel et social face à la vague de pauvreté qui s’apprête à s’abattre sur le pays. En ce sens, le constat est plutôt positif : la crise a obligé de nombreux croyants à sortir de la routine, à (re)trouver les multiples dimensions par lesquelles vivre leur foi.

La crise sanitaire constitue pour l’Église un tournant à ne pas manquer, écrivait au printemps le théologien tchèque Thomas Halik dans une tribune qui fut largement partagée. Et sans doute à l’occasion de cette crise sanitaire, le catholicisme belge du XXIe siècle va-t-il connaître une accélération des mutations qui le traversent, renchérit Alphonse Borras.

L’Église est-elle encore capable de répondre à la soif de sens et de spiritualité, aux défis sociaux de la Belgique en 2020 ? Que sont devenues ses paroisses ? Tiennent-elles encore un rôle dans leur environnement ? Si ce ne sont les fidèles habituels, qui s’y sent encore accueilli ? Que font-elles pour transmettre le patrimoine intellectuel et spirituel qui est le leur ? Poussé collectivement et individuellement dans ses derniers retranchements, là où il est obligé de retrouver ce qui est essentiel à sa foi, le catholique de 2020 pousse prudemment la porte du “monde d’après”.

L’église du Couvent des Pères Carmes sur l’avenue de la Toison d’Or (votre église) est ouverte aux fidèles qui souhaitent y prier, mais attend silencieusement la reprise des célébrations.

Extrait de La Libre

Une réflexion sur “La crise sanitaire pousse les catholiques dans leurs derniers retranchements

  1. bernard&martine cuvelier gezels

    Merci , Prions pour que la paix règne à nouveau dans nos coeurs car la grogne ne servira à rien , un chrétien doit refléter l’amour du Seigneur , cette épreuve va peut-être réussir à nous faire prendre conscience de la valeur du Seigneur dans notre existence , cette pandémie nous fera grandir dans notre vie spirituelle et à persévérer dans notre foi . Peut-être es -ce une bénédiction de sa part , et elle réussira peut-être a nous faire découvrir une vérité cachée.

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