Le Covid-19 nous rappelle brutalement que la mort fait partie de nos vies

À force de vouloir protéger la vie, d’en extraire le moindre risque, on en est venu à nier son inéluctable finitude.

LE TOUR DES CIMETIÈRES : « Si apprendre à vivre, c’est apprendre à mourir » comme nous y invitait Montaigne, « cependant ni la mort, ni le soleil ne se regardent en face », a rappelé La Rochefoucauld, un autre moraliste. Autour de nous se creusent les rangs et nous expérimentons presque quotidiennement sa proximité. Nous savons aussi qu’elle offre à l’existence son surcroît d’élan et de fougue. Nous ressentons à quel point se fait poreuse la cloison qui sépare vivants et morts, nous percevons les échanges. (…) Aujourd’hui j’aime ce tour des cimetières ; je sens la jonction des morts et des vivants, la foule invisible doublant la cohorte visible. ✐ Colette NYS-MAZURE (Capture d’écran journal Dimanche 1/11/2020)

Beaucoup d’hommes et de femmes attentifs à la dimension spirituelle de l’existence disent et écrivent qu’à mesure que notre société devient plus matérialiste, la mort en est progressivement évincée. À côté des slogans et des publicités qui inondent nos vies sous les atours les plus séduisants, la beauté, la force, la jeunesse, la performance, il n’y a plus guère de place pour la mort ou si peu.

La mort, on n’en parle plus ou alors avec fracas et statistiques lors des attentats terroristes ou bien dans la rubrique faits divers des journaux. La crise sanitaire actuelle vient nous rappeler cette tendance lourde de notre société devenue prudentielle et hygiéniste. À force de vouloir protéger la vie, d’en extraire le moindre risque, on en est venu à nier son inéluctable finitude.

Nous vivons en ce moment un tsunami de peur et d’anxiété qui est la conséquence de cette mise à distance du risque dans notre quotidien. Au printemps, lors de l’irruption du coronavirus, les centres commerciaux sont restés ouverts contrairement aux églises et aux centres culturels, longtemps inaccessibles. Il nous revient en mémoire ces longues files de cercueils esseulés aux portes des cimetières lombards, ces corbillards à la queue leu leu, accompagnés par de rares employés des pompes funèbres. Un terrible sentiment d’inhumanité nous avait alors envahis. Hommes et femmes morts dans la solitude la plus extrême. Alors que des millénaires de civilisations ont accordé une place majeure à la mort dans la vie des hommes, la nôtre l’élude. Elle la repousse loin des yeux et des consciences. Le Covid a suramplifié cette réalité.

Religion et consumérisme

Ne faut-il pas voir dans la façon avec laquelle notre société réagit aujourd’hui à la pandémie une forme d’échec de notre modèle occidental qui a fait prévaloir le « matériel » au détriment du « spirituel » ? La pratique religieuse est en chute libre alors que la fréquentation des grands temples de la consommation ne cesse de croître. Or, si le bien-être matériel s’est incontestablement amélioré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, du moins dans nos contrées, le bien-être psychologique, ce que l’on appelle aujourd’hui la santé mentale, lui, s’est profondément détérioré. Et pourtant, des pratiques alternatives de recherche de bien-être et de sens foisonnent, ce qui signifie que le désir de paix intérieure est toujours présent dans l’Homme et qu’il cherche à trouver le moyen de s’exprimer, d’une manière ou d’une autre.

À l’aube de notre humanité, le religieux a précédé le politique, aimait à répéter François Mitterrand. Pourquoi ce fondement anthropologique aurait-il subitement disparu avec l’avènement du consumérisme ? Pourquoi nos consciences auraient-elles été transformées à ce point, en quelques décennies, comme anesthésiées, pour ne plus pouvoir ou même vouloir faire de la place à la quête de sens dans nos vies ? Cette crise majeure qui nous étreint nous rappelle que, malgré notre rationalité positiviste, il y a un mystère dans nos vies qui est irréductible et qui ne peut être approché qu’en apprivoisant progressivement notre propre mort. Une démarche infiniment personnelle qui s’enrichit par l’échange et la communion avec d’autres êtres humains.

Les « cafés mortels »

La fête de la Toussaint conserve encore des adeptes et les tombes continueront d’être fleuries en ce début du mois de novembre. Mais, à côté de ce rituel chrétien, surgissent d’autres lieux comme les « cafés mortels », initiés en Suisse en 2004 par le sociologue et ethnologue valaisan Bernard Crettaz et désormais présents un peu partout dans le monde. Des hommes et des femmes viennent y déposer une parole et se nourrir d’un échange sur la mort d’un ami ou d’un parent disparu. Et c’est tant mieux.

Les nombreux témoignages qui nous sont parvenus au mois d’avril dernier de Lombardie et de nos couloirs d’hôpitaux et de maisons de repos ont montré combien le silence et la solitude face à la mort représentent une deuxième mort pour les vivants. La pandémie, s’il était encore besoin de le rappeler, a révélé avec acuité la nécessité de donner à la mort toute sa place dans nos vies et ainsi donner à la vie sa pleine dimension humaine. Le manque de rituels funéraires lors de la première vague du Covid-19 a profondément choqué de nombreuses familles endeuillées. Augurons que nos autorités veilleront cette fois-ci à tout mettre en œuvre pour que de telles situations ne puissent plus se reproduire dans les semaines à venir et que ces familles puissent dignement célébrer la mémoire de leur défunt.

Une opinion de Pascal Warnier, économiste, diplômé en sciences de l’éducation, parue dans la Libre.be de ce jeudi 29/10/2020.

https://www.lalibre.be/debats/opinions/le-covid-19-nous-rappelle-brutalement-que-la-mort-fait-partie-de-nos-vies-5f99aaf67b50a6525b9d76de

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