
Un virus nous rappelle de respecter l’environnement. Oui, l’humain peut vivre mieux avec moins quand il recentre son désir et choisit ce qui libère face à l’avoir et au pouvoir.
Parmi les nombreux messages circulant sur Internet en ce temps de confinement, une vidéo m’est parvenue qui n’était pas destinée à faire rire. Une voix grave – celle de « dieu » – y parlait à son fils, nommé… Corona. La voix lui ordonnait d’envahir le monde et de frapper l’homme. « Pourquoi cela ? » demandait Corona. « Parce que les hommes étouffent cette planète », répondait la voix, « Tu infecteras donc leurs poumons afin qu’à leur tour, ils étouffent et enfin comprennent ». Revoilà donc l’explication du fléau comme punition divine, comme à l’époque de la grande peste. Le premier cavalier de l’Apocalypse ne porte-t-il pas une corona (couronne) ? « Je regardai, et je vis un cheval blanc, et celui qui était monté dessus avait un arc, et on lui donna une couronne, et il partit en vainqueur. » (Ap. 6, 2)
Soyons clairs, le fondamentalisme littéraliste est un interprète aveugle de la Bible. Dieu n’est pas un père fouettard qui punit ses enfants. Pas plus qu’il n’est un père Noël, qui préserve magiquement de la souffrance. Alors, me direz-vous : où donc est-Il, ce Dieu, au cœur de la pandémie ? Derrière le masque du médecin épuisé, qui encourage ses équipes à l’hôpital. Sous le sourire d’une caissière, qui vainc sa peur et va travailler. Dans la disponibilité de l’aide-soignante, qui remplace des collègues contaminées. Près de la solitude du senior, qui prie en silence. Proche du râle du patient qu’on intube et qui – en semi-coma – pense à sa famille. Partout où un Esprit de résistance donne à l’humain de dépasser sa peur et son égoïsme, Dieu écrit une page d’Évangile. « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Matthieu 25, 40). Et encore : « Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1 Jean 4, 7-8).
Si ce virus constitue un avertissement, celui-ci ne vient donc pas du Ciel, mais de la terre. Comme énonce la sagesse populaire : « Dieu pardonne toujours. L’homme pardonne parfois. La nature ne pardonne jamais ». À ce conquérant insatiable qu’est l’Homo sapiens, la nature oppose un petit virus qui paralyse toute chose, comme pour murmurer que sans respect de l’environnement, d’autres cavaliers de l’Apocalypse – bien plus terribles – suivront.
S’agit-il d’un plaidoyer pour « le retour à la lampe à l’huile » ? Nullement. À la question : peut-on vivre mieux avec moins ? la réponse est : oui. Comment ? En remettant la spiritualité au cœur de nos civilisations. Reconnaissons-le : les convictions religieuses et philosophiques tombent par moments dans le piège du repli identitaire et deviennent alors sources de division. Après des siècles de fratricides guerres religieuses, les penseurs des Lumières ont dès lors prôné la séparation entre Églises et États, afin de garantir la paix civile. Cette sécularisation fut politiquement salutaire, mais eut pour dommage collatéral de repousser la spiritualité dans le domaine privé, celui des loisirs « pour ceux que cela intéresse ». Le rôle de l’État se confinait à garantir la sécurité et le sacro-saint pouvoir d’achat. Avec des centres commerciaux pour cathédrales, la publicité pour catéchisme et les soldes et autres Black Friday pour fêtes solennelles. Résultat : notre mode de vie encrasse l’air et étouffe l’âme.
Oui, l’humain peut vivre mieux avec moins quand il recentre son désir. C’est ce que les authentiques spiritualités – croyantes ou non – enseignent : comment éduquer nos envies à choisir ce qui libère, face aux tentations de l’avoir, du pouvoir et du valoir. Pour la sauvegarde de l’humanité, l’urgence sanitaire est donc de remettre la spiritualité au cœur de notre projet de société. Déconfinons les âmes dès le plus jeune âge. « L’homme ne vit pas que de pain » (Matthieu 4, 4).
Une chronique d’Eric de Beukelaer parue dans www.lalibre.be de ce 19 mai 2020