Noël et Blanche Neige

La tentation de toutes les religions a toujours été de mettre les humains en règle avec la divinité par un ensemble de rites. Désormais, avec Noël, pour rejoindre Dieu, l’amour suffit.

Les magasins sont un repère sûr : Noël est aux portes. Le récit de la Nativité a quelque chose de merveilleux, de magique aux yeux des enfants. Ils sont séduits et aiment entendre l’histoire de la crèche. Mais attention, Noël n’est pas un vieux conte de notre enfance, tel celui de Blanche Neige, mais fête un événement. Sinon, pourquoi les historiens continueraient-ils à s’interroger sur la date précise : 6 ou 7 avant Jésus-Christ ou bien encore l’an 4 ?

La prétention chrétienne est énorme. “Dieu s’est fait homme”, il a franchi la distance qui semblait infranchissable entre l’homme et lui. Aux yeux du croyant, l’incroyable est advenu. Celui que personne n’a jamais vu se rend visible dans un enfant. Lui dont il était interdit de sculpter l’image se fait chair. Le Tout-Autre devient tout proche, sans nous voler notre espace. Comme la mer infinie résonne dans un coquillage collé à notre oreille, le Mystère silencieux des origines fait entendre sa Parole. Tout en restant bien sûr celui qui mérite notre adoration, le Créateur prend visage de créature et s’assoit à notre table.

Tout simplement aimer

Et que vient-il faire chez nous ? Tout simplement aimer. Il n’a d’autre planification, d’autre plan pastoral. Pour y parvenir, jusqu’à donner sa vie pour ses amis et pardonner à ses bourreaux, Jésus maintient une proximité filiale avec celui qu’il nomme Père. Chaque jour, il accueille son souffle, l’Esprit Saint, comme on boit à la source. Il en reçoit l’énergie.

La tentation de toutes les religions a toujours été de mettre les humains en règle avec la divinité par un ensemble de rites. Désormais, pour rejoindre Dieu, l’amour suffit. Aimer est la manière divine d’exister. En vivant comme les humains, Dieu a permis aux humains de vivre comme Dieu, de partager sa vie, d’accueillir du divin dans notre existence.

La naissance de Jésus a une dimension bien plus qu’historique. Le ciel et la terre sont concernés. Dans le récit de Luc, les anges symbolisent la dimension invisible de cet événement. Saint Jean, lui, dans son Prologue, le dira à la manière des textes grecs de sagesse : “Au commencement était le Verbe [la Parole de Dieu], le Verbe était Dieu et le Verbe s’est fait chair, il a planté sa tente parmi nous.”

La foi chrétienne articule de manière originale le ciel et la terre. Nous ne sommes pas mis en demeure de choisir l’un ou l’autre. Il n’y a pas d’antagonisme entre Dieu et l’homme, mais un partenariat, une alliance, selon le mot biblique. Lorsqu’on dit que Jésus est Dieu, il ne s’agit pas d’une “identité”, mais d’une “unité” profonde entre le divin et l’humain, sans confusion. Le ciel a épousé la terre. Désormais, notre terre a un goût de ciel. Pas question de quitter la condition humaine, mais d’entendre l’appel à la vivre dans toute sa plénitude.

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Aujourd’hui, le christianisme de tradition fait place à celui de conviction

La religion ne s’impose pas, elle se propose, mais on ne choisit que ce que l’on connaît. « Ils choisiront quand ils seront grands » est trop souvent une manière de se dispenser d’une éducation religieuse quitte à la laisser aux mains des grands-parents ou de la paroisse.

L’adhésion religieuse fut longtemps une question familiale et sociétale. Aujourd’hui, être né dans un milieu chrétien ne semble plus être une garantie. Que de familles profondément croyantes ont des enfants très à distance par rapport à la foi, voire en opposition à elle. Sans doute sont-ils conditionnés par le climat de notre société, matérialiste, individualiste, et critique par rapport à toute religion, notamment par rapport à celle qui a marqué l’Europe.

Ne réduisons en effet pas la foi à sa pratique cultuelle. Elle est d’abord une manière de vivre, de s’engager. Est-on assez soucieux de cohérence évangélique ?

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Dans un monde qui change, changer de posture

L ’Église catholique connaîtrait-elle une crise terminale ? Certains le disent. Crise, cependant, ne signifie pas nécessairement disparition, mais plutôt mutation et opportunité. Nous ne sommes plus au temps des premiers chrétiens où la voie ouverte par Jésus apparut comme une nouveauté bienfaisante et libératrice, ni à celui des cathédrales où le christianisme imprégnait toute la société. Après un XIXe siècle de résistance à la modernité et le concile Vatican II de l’ouverture, nous sommes devenus ce petit reste évoqué par le prophète Sophonie (1). Nous ne sommes toutefois pas revenus au stade des trois premiers siècles. Le monde et nous-mêmes avons bien changé.

« Nous étions ceux qui détiennent la vérité et qui enseignent. L’espérance chrétienne peut se dire dans un autre langage que celui hérité du catéchisme. Au lieu d’attendre que les gens viennent à nous, nous sommes appelés à les rejoindre là où ils en sont et voir ce qu’il y a moyen de célébrer avec eux sans forcer leur adhésion. » Photo issue du journal Dimanche

Le monde et l’Église

L’air du temps est désormais à la non-évidence de Dieu et à la suspicion à l’égard des religions instituées. Le choc de la science a détourné bien des gens de la foi. Les jeunes ont appris à être heureux sans Dieu. La transmission est en panne. La fuite en avant des technologies dessine une société de plus en plus inégalitaire. Nous assistons aussi à un éloignement anthropologique et éthique par rapport au message chrétien. Ceux qui s’engagent pour une société nouvelle ne se réfèrent ni à l’Évangile ni à l’Église. Et tout cela dans un contexte de crise écologique et civilisationnelle.

L’Église, quant à elle, ne se porte pas bien. Le système clérical ne fonctionne plus. L’institution a perdu toute crédibilité et elle est même devenue un obstacle. La baisse de la pratique religieuse est drastique (moins de 2% de pratiquants réguliers) et la diminution du nombre de prêtres et de bénévoles, catastrophique. Notre discours symbolique apparaît mythologique et ésotérique, compréhensible par la seule tribu. Tout ceci sans parler de la crise des abus.

Le grand risque est de se contenter de survivre, les yeux fixés sur le présent en prenant pour référence un passé révolu. Or, il s’agit de vivre dans ce monde et de donner corps à l’audace et à la radicalité évangéliques. François nous invite sans cesse à être une « Église en sortie« .

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Ouvrir les yeux sur l’invisible

L ’essentiel est invisible pour les yeux. » Cette phrase de Saint-Exupéry est bien connue. « Nous sommes encadrés d’invisible« , proclamait quant à lui le poète allemand Rainer Maria Rilke. Hélas, trop souvent nous nous disons « cartésiens » et atrophions notre vie en nous revendiquant du « je ne crois que ce que je vois« .

« L’esprit le sait : ce qui est invisible n’est pas étrange aux yeux de ceux qui veillent. » Gianni Esposito

Photo copie d’écran journal Dimanche

La raison pure et froide

N’assisterions-nous pas aujourd’hui à la « cicatrisation de la plaie cartésienne« , à la fin de cette tyrannie de la raison pure et froide ? Dans son Vivre avec l’invisible, Marie de Hennezel, qui fut la confidente de François Mitterrand, y travaille. Elle nous invite à renoncer à l’idée que nous pouvons tout voir, tout maîtriser, tout contrôler. Nous pouvons en effet vivre avec cet invisible qui est au fond de nous, au-delà de nous, et tisser des liens avec lui. Ce besoin d’invisible, estime-t-elle, n’implique pas nécessairement une foi religieuse, perdue par beaucoup aujourd’hui. Il s’agit d’un sentiment naturel.

« Nous avons à l’intérieur de nous un espace dans lequel les frontières de la raison ne jouent pas« , déclarait-elle récemment à La Libre Belgique. Hélas, notre culture hyper-scientifique a établi une frontière étanche. Or, dit-elle encore, celle-ci est poreuse. Un homme comme le psychiatre suisse Jung, qui revient à la mode, l’avait bien compris. « C’est une illusion commune de croire que ce que nous connaissons aujourd’hui représente tout ce que nous ne pourrons jamais connaître. » Il n’hésitait pas à parler de l’âme, s’opposant ainsi à la vision matérialiste de son ancien maître Freud qui, lui, considérait la psychanalyse comme relevant de la matière seule.

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Quel est l’avenir du christianisme ?

Immergés que nous sommes dans notre époque, nous n’avons pas encore pris conscience que nous étions face à des transformations d’ordre civilisationnel très profondes.

L’église d’Our

Le christianisme ne se transmet plus dans nos contrées, sinon comme une culture au même titre que Molière. Les églises deviennent des musées pour touristes. Les chiffres de toutes les enquêtes l’attestent. Le système sociétal des siècles précédents – la “civilisation paroissiale”, disent les sociologues – est arrivé à son terme. Chantal Delsol vient de publier un livre au titre sans ambiguïté : La fin de la chrétienté, chrétienté qu’elle définit comme cette civilisation constituée autour et sous la houlette du christianisme, puis du catholicisme. Il s’agit d’un mode d’être à la fois total et cohérent, qui sous-entend la croyance religieuse, les mœurs, les lois, les lieux de pouvoir, le modèle familial, etc.

D’autres publications récentes vont dans ce sens : L’Église brûle (Andrea Riccardi, 2022), Le salut de l’Église est dans sa propre conversion (Mgr Joseph Doré, 2021), Le christianisme a-t-il encore de l’avenir en France ? (Guillaume Cuchet, 2021). Ou encore l’ouvrage du cardinal Jozef De Kesel : Foi et religion dans une société moderne (2021). Nous arrivons à la fin d’un christianisme sociologique où on baptise l’enfants en vue d’une fête familiale, avant de s’empresser de ne plus fréquenter la communauté dans laquelle on disait vouloir le faire entrer ! La sécularisation a entraîné la disparition de ce “religieux profane”, de cette culture commune aux croyants et aux non-croyants.

Un avenir tout différent

Même si l’Islam semble très présent (6 à 7 % en Belgique), c’est le phénomène religieux qui est en recul. La non-affiliation est devenue le régime normal. La majorité des jeunes sont aujourd’hui désaffiliés de toutes religions ou non-affiliés, ils en sont à la deuxième voire la troisième génération de la rupture. Le jésuite Joseph Moingt disait voir un peu partout des signes du “couchant de toutes les religions”. Déjà, en 1944, Dietrich Bonhoeffer pronostiquait : “Nous allons au-devant d’une époque totalement non religieuse.

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