Paix aux hommes de bonne volonté

« Tant crie-t-on Noël qu’il vient », dit la Ballade des proverbes de François Villon. Y a-t-il une fête, en effet, aussi attendue que Noël ? Pas besoin d’être chrétien. Noël a le don mystérieux de toucher tout le monde, il s’est échappé du christianisme, dans lequel d’ailleurs il n’apparaît que tardivement au IVe siècle. La foi primitive des chrétiens repose sur la vie publique et les paroles du Christ, pas du tout sur les circonstances de sa naissance. Personne, en outre, même parmi les croyants, ne songerait à s’offusquer si, pour une large part, on en range les événements dans le domaine de la légende. Que trois rois guidés par une étoile mobile, par exemple, soient venus s’incliner devant un bébé inconnu né dans une étable ne relève vraisemblablement pas de l’histoire, mais plutôt du mythe.

Santons de Noël – Photo Pixabay

Cela ne signifie pas pour autant que nous soyons en présence d’une sorte de fake news avant l’heure. Non seulement, toutes les religions font usage du mythe, mais c’est une forme d’expression à laquelle on recourt également dans d’autres démarches de la pensée. Platon couronne sa philosophie par le célèbre mythe de la caverne, Mozart a exploité avec génie le mythe de Don Juan, le mythe d’Œdipe a été annexé par les psychanalystes. Les histoires imaginées par les romanciers ne sont pas autre chose que de petits mythes. Dira-t-on pour autant que l’utilisation du mythe discrédite la pensée de ceux qui en usent ?

Le mythe, en fait, sert à faire passer un message par une autre voie que celle du simple raisonnement. Au lieu de s’adresser à la raison, il s’adresse à l’imagination, à la sensibilité, à l’âme tout entière de l’être humain au-delà des ressources limitées de la logique. Ainsi, mieux que n’importe quel discours, les contes des Frères Grimm peuvent assurer l’enfant que, malgré les marâtres, les ogres, les dragons, tout petit Poucet qu’il soit, il trouvera sa place dans le monde.

Comment Noël s’adresse-t-il à nous ? Très simplement, en nous mettant la naissance d’un enfant sous les yeux. La naissance d’un enfant est un miracle. Les humains sont capables de fabriquer des objets extrêmement sophistiqués, ils ne peuvent fabriquer un enfant. Seule, la vie le peut. L’enfant est la manifestation sans cesse renouvelée de la force prodigieuse de la nature. Dans sa parfaite innocence, il est porteur de l’espérance infatigable que les humains mettent dans les ressources inépuisables de la vie.

La singularité du christianisme est d’avoir été jusqu’à affirmer que l’enfant qui vient au monde à Noël n’est autre que Dieu lui-même, pour qui sait le reconnaître. Bien entendu, on n’est pas obligé de se rallier à cette affirmation en tant qu’affirmation. On basculerait dans le domaine de la foi. Cependant, en nous en tenant au seul niveau du mythe, l’assimilation de Dieu à un enfant peut nous toucher et nous faire réfléchir.

Dans le sens où Dieu, selon la perspective de Dostoïevski, représente l’aspiration la plus profonde de l’homme à vouloir le bien, il est saisissant que cette aspiration s’offre à nous comme un enfant pauvre, démuni, faible, méconnu voire rejeté. Un petit être totalement dépendant de nous. Notre élan vers le bien n’est pas à la merci d’un Dieu tout-puissant perdu dans les cieux, il s’offre à nous très humblement, comme ce que les humains de tout temps ont eu de plus précieux à défendre. En somme, Dieu, selon le mythe, est entre les mains de ceux que les anges de la crèche appellent les hommes de bonne volonté.

Éditorial d’Armel Job paru dans « Guérets d’Ardenne » ASBL « Le 210 » du 4ème trimestre 2022

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