Voici quelques jalons pour aider à penser la question de la neutralité et de la visibilité du religieux dans la société.
L’habit fait-il de cet homme un moine ? Nul ne peut en juger, mais aux yeux d’un observateur extérieur, c’est bien un moine ! Dans toute culture, l’habit situe quelqu’un aux yeux des autres. Dans un train, dès qu’arrive le contrôleur, que l’on reconnaît à son uniforme, on remplit son abonnement ! Mais au bassin de natation, il passerait inaperçu. La manière dont je m’habille en un moment précis indique le rôle que je joue à ce moment-là.

L’habit et autres « signes distinctifs » ne disent pas seulement la fonction, mais aussi quelque chose de ce que je veux laisser apparaître de moi. Une alliance au doigt dit le lien conjugal et un insigne au revers du veston signifie mon appartenance à un service-club ou une cause qui me tient à cœur. Ne serait-ce pas le premier droit humain : pouvoir être soi, ne pas devoir s’en cacher ?
L’autonomie des sphères d’existence
La modernité se caractérise par l’autonomie des sphères de l’existence. C’est heureux, mais moins simple qu’il n’y paraît. On n’imagine pas un cardinal, revêtu des habits ecclésiastiques, présider le conseil des ministres. Nous ne sommes plus au temps de Richelieu. L’État est devenu neutre. Dans notre société multiculturelle et plurireligieuse, c’est indispensable, car tous les citoyens lui délèguent la gestion de la chose publique et la défense de ses droits.
Le juge porte un habit qui ne dit pas ses convictions privées, mais le service qu’il veut rendre de manière impartiale, et son vêtement, quand il juge, le fait comprendre. Il peut être chrétien convaincu, mais comme juge, il accepte de se mettre au service de la loi de son pays. Dans la rue, il n’est plus revêtu de sa toge, mais sur sa veste, il peut avoir épinglé l’insigne discret d’une cause qu’il défend. Il ne doit pas être neutre 24 heures sur 24. Tous les services, au sein d’une entreprise publique ou privée, n’exigent pas la neutralité. Seule une fonction d’autorité l’exige. Si l’État est laïque ou neutre, la société est plurielle, et doit le rester sous peine de devenir monochrome. L’uniformité n’enrichit pas la vie sociale. Nous ne devons pas toujours avancer masqués.
Quand je participais à un débat télévisé, j’ai toujours affiché une petite croix discrète. Celui qui voulait savoir « d’où je parlais » avait un indice. Je ne voulais pas cacher mon identité profonde, mais pas non plus me retrancher derrière l’institution ni me présenter dans une posture hiérarchique ou prosélyte. Tout est question de contexte et donc de discernement : quand suis-je de service, quand suis-je un citoyen lambda ? Je revêts l’aube pour célébrer l’eucharistie ; dans la vie de tous les jours, je serai plus discret. Les personnes que je rencontre peuvent ainsi, si elles le veulent, me situer comme prêtre, mais je ne l’impose pas.
Pour un islam belge
Le problème du voile islamique est sa visibilité « ostentatoire » et sa signification ambigüe. Il représente une conviction intime forte. Dans une société où les musulmans sont minoritaires (6 à 7 % chez nous), ce besoin de reconnaissance peut se comprendre. Il permet aussi une expérience spirituelle réelle. J’en ai des témoignages proches. Mais le salafisme conquérant existe. Sa tactique est notamment l’islamisation du paysage social. « Le port du voile intégral est un acte militant d’un islamisme radical en vue d’imposer la loi islamique par la douceur », a pu écrire un musulman dans les colonnes de ce journal.
Il y a donc des lieux où il faut à tout prix l’interdire. Quand on enseigne dans une école officielle, certainement. Quand on conduit un tram ? Pas nécessairement. Il peut y avoir débat. Mais il ne faut pas être naïf : des influences occultes existent, dont les croyants ne sont pas conscients. Le combat doit alors être mené ailleurs, notamment dans l’indépendance par rapport aux pays plus fondamentalistes. Je plaide donc pour un islam belge, véritablement spirituel, dégagé des influences étrangères, capable de s’intégrer dans une société sécularisée et démocratique, où religion et politique sont nettement distinguées, telle que la nôtre. Le monde musulman n’a pas encore achevé sa mue, mais nous pouvons l’y aider.
Une chronique de Charles Delhez parue dans la libre.be du 25 juin 2021