La Semaine sainte n’est pas un pieux mémorial. C’est une manière de vivre. C’est la vie des humains.

Ram et Rom. Ce n’est pas le titre d’une histoire pour enfants, mais bien la distinction que l’on fait, en informatique, entre deux types de mémoires. La Rom (Read Only Memory) stocke des données dans un espace plus ou moins grand ; la Ram (Random Access Memory) est un processus qui permet d’accéder aux informations. C’est pourquoi la première est appelée mémoire morte, et la seconde, mémoire vive. C’est cette dernière qui joue un rôle central dans un ordinateur ou un téléphone : on peut y stocker autant de données que l’on veut, s’il n’y a pas un processus qui active en temps réel ces données, elles sont inutilisables.
Aussi incongru que cela paraisse à première vue, on peut se demander de quelle mémoire relèvent la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ ! S’agit-il de la commémoration d’événements qui se sont passés il y a plus de 2000 ans ? Cette commémoration est sans aucun doute importante et pleine de sens pour les croyants, qui en font le centre de leur vie de foi. Mais il y a quand même un problème : cela intéresse de moins en moins de monde… et cela ne change rien à la marche du monde, qui n’a que faire des souvenirs propres à un groupe de personnes. Si l’Évangile n’est qu’un mémorial, s’il nous ramène à un passé de toute façon inaccessible, c’est qu’il a perdu sa bouleversante puissance de transformation. Il est comme désactivé. Mémoire morte.
L’Évangile est Parole, c’est-à-dire non un contenu, mais une relation vive. Une Parole adressée à tout cœur qui l’écoute et la reçoit. La vie, la mort et la résurrection de Jésus, par-delà l’événement singulier, parlent de l’être humain et de tous les humains, parlent de la vie, de la mort et de la traversée du mal. La vie, la mort et la résurrection de Jésus, c’est maintenant, en notre monde, en nos vies. Le temps de confinement est bien un carême, une épreuve qui met à nu nos forces et nos fragilités. Et pour nombre d’êtres humains, c’est aussi le temps de la Passion : les populations les plus démunies subissent de plein fouet, en raison de leurs désastreuses conditions de vie, des maux redoublés : contamination, perte de leurs maigres revenus, famine, violences. Connaîtra-t-on jamais l’insupportable tribut que paieront probablement les pays du Sud en raison de la pandémie ? Les discours de matamores de certains de leurs dirigeants font écho à ceux des grands prêtres du passé, soucieux de préserver leur parcelle de pouvoir.
La question sans détour que la servante adresse à Pierre, c’est à chaque croyant, chaque croyante qu’elle est désormais posée : « Et toi, n’es-tu pas avec lui ? Ne fais-tu pas partie des siens ? » Question dérangeante, qui expose et place devant un choix radical, aujourd’hui comme hier. Le « reniement » de Pierre est une réponse possible, qui n’est pas rejet de la personne de Jésus en tant que telle, mais plutôt comme un réflexe bien connu : chacun pour soi ! Inutile, ici, de donner des leçons de morale : nul ne peut assurer être héroïque et les moments particuliers que nous vivons mettent au jour des solidarités extraordinaires, mais aussi des égoïsmes de bas étage.
Ce sont les femmes qui ont accompagné Jésus jusqu’au calvaire, qui sont mortes avec lui (perdre un être aimé, c’est mourir déjà) qui furent les premières habitées de sa présence nouvelle. La présence-souffle se propagea à la manière d’une heureuse pandémie, avec une prédilection pour les plus fragiles, les laissés-pour-compte. Fini, le chacun pour soi ! Chacune et chacun devenu pierre vive pour la construction d’un monde autre, celui inauguré par Jésus. « Faites ceci en mémoire de moi ». Mémoire vive, qui ne se contente pas de redire, mais qui fait en temps réel ce que demande le Maître : donnez votre vie, partagez-la comme le bon pain en nourrissant ceux qui ont faim, en vêtant ceux qui sont nus. La Semaine sainte n’est pas un pieux mémorial. C’est une manière de vivre. C’est la vie des humains.