Il n’y a pas que les virus qui sont contagieux, l’amour et la vie le sont tout autant. (Photo : capture d’écran « Jour du Seigneur »)
Quelques jours avant Pâques, j’ai été l’heureux destinataire d’une carte très sympathique : elle accompagnait une jolie croix dessinée sur une planche avec quelques clous reliés entre eux par une ficelle. Cette croix est l’œuvre de Simon. Il a 10 ans et il aurait dû être baptisé dimanche dernier. En bas de la carte, il a écrit : « Gros bisous contagieux ». Merci Simon.
Vendredi dernier, seul devant la place Saint-Pierre vide, le Pape a présidé une prière exceptionnelle pour le monde et a encouragé à nous convertir.
Vendredi dernier, seul devant la place Saint-Pierre vide, le Pape a présidé une prière exceptionnelle pour le monde et a encouragé à nous convertir, à saisir ce temps d’épreuve, à saisir ce temps pour choisir ce qui importe de ce qui passe, à séparer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas et à toujours réorienter la Vie vers Toi, Seigneur, et les autres.
Seigneur, dans notre monde que tu aimes plus que nous, nous sommes allés de l’avant à toute vitesse en nous sentant forts et capables dans tous les domaines, avides de gains, nous nous sommes laissés absorber par les choses et étourdir par la hâte.
Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres et des injustices planétaires. Nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète malade. Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester toujours sains dans un monde malade.
Maintenant alors que nous sommes sur une mer agitée, nous t’implorons, réveille-toi, Seigneur.
Entendu lors de la messe sur France 2, le Jour du Seigneur, ce 29 mars 2020.
Céramique réalisée par les jeunes lors de la retraite à la préparation à la confirmation
Ce récit plein de magie que nous venons d’entendre nous rappelle que le ciel et les astres ont toujours eu une place privilégiée dans l’imaginaire des hommes. Chez beaucoup de nos contemporains, il y a d’ailleurs comme un mage qui sommeille, qui croit « à sa bonne étoile », qui éprouve ce besoin de sécurité, celle d’une présence céleste qui offrirait des certitudes : un Dieu dans les étoiles, à lire comme un horoscope, un dieu sidérant en quelque sorte ! Sidérer —et la racine du mot le dit— signifie subir l’influence des astres. Un dieu sidérant serait comme une énigme à déchiffrer, qui offrirait un destin tout tracé à l’humain.
Voilà l’image d’un Dieu qui ne se trouve absolument pas à contempler dans la crèche. En cette fête de l’épiphanie, le Christ se révèle au monde sans éclat, sans brillance, mais seulement dans la tendresse et la fragilité. Pour le contempler, prenons alors le chemin qu’ont emprunté les mages ! Déplions la carte de notre vie, avec la boussole de notre joie. Creusons en nous notre propre désir et suivons les mages. Ces derniers ont su quitter leur zone de confort, pour découvrir un autre visage de Dieu. Prendre leur chemin, c’est d’abord oser prendre des risques… Nous l’avons entendu : les mages sont arrivés d’abord à Jérusalem, alors que l’étoile leur indiquait Bethléem. Ils sont arrivés au lieu du pouvoir, de la religiosité, alors que l’étoile pointait vers le lieu de la fragilité. Nos vies sont ainsi faites d’errances, mais elles ne se réduisent pas à nos échecs et nos erreurs. Prendre le chemin des mages, c’est quitter le lieu des sages, abandonner nos raisonnements trop humains, pour découvrir un Dieu autrement divin, un Dieu libre, inouï, qui se laisse découvrir dans une crèche, c’est-à-dire dans n’importe quel lieu d’enfantement, d’ouverture, de possible et de promesse. Prendre le chemin des mages, c’est en fait désirer en vérité : quitter l’idéalisation, pour découvrir que tout être aimé, quel qu’il soit, nous échappe, nous surprend. En effet, désirer quelqu’un, c’est l’aimer comme autre, comme une personne qui ne peut correspondre à nos rêves et nos envies. Désirer Dieu, c’est donc accepter d’être dérouté, amené sur des chemins imprévus, pour l’accueillir dans chaque visage. Désirer Dieu, c’est lui donner d’être ce qu’il est —dans la finitude et l’incertitude— et pas l’imaginer que nous voulons qu’il soit.
Le chemin des mages nous conduit donc à la crèche : là où s’arrête l’étoile, mais là où une autre étoile, celle du Christ, prend le relais pour nous guider. La crèche est donc ce lieu où nos rêves, nos idéaux s’arrêtent, mais où nos projets, notre avenir peuvent se faire « présents ». Alors, à nous de prendre le chemin des mages pour offrir, malgré les aléas de la vie, une clarté naissante à notre monde, pour donner notre or, notre encens, notre myrrhe. Voilà les trois dons que je vous invite sans cesse à garder présents dans vos rencontres tout au long de cette année !
Quelle que soit notre histoire, nous aurons toujours une peu d’or à donner. L’or de notre temps, ce bien le plus précieux, que nous avons tous, et qui n’a de valeur qu’à mesure où il se donne. Oui, offrons notre temps, là où il y a un lieu d’enfantement, là où un projet peut renaître !
Quels que soient nos talents, nous avons tous, aussi, un peu d’encens à ajouter dans notre vie. Quel est cet encens ? Peut-être cette capacité à mettre un goût divin à nos relations, un parfum de joie, qui vient ajouter de la hauteur dans la banalité du quotidien, qui remet du mystère, là où tout semble fermé.
Quel que soit notre âge, nous pouvons toujours offrir de la myrrhe dans notre présent. La myrrhe est ce qui embaume les morts. Elle est notre capacité à dépasser des histoires douloureuses, à faire dans notre vie des deuils féconds, à tourner la page, à traverser l’échec, pour que notre présent redevienne un don.
Alors, en ce début d’année, prenons ce chemin des mages, laissons-nous surprendre et dérouter par ce que nous n’attendons pas. Et si nous avons l’impression de stagner, d’être bloqués, c’est peut-être qu’il y justement a en face de nous une crèche, un nouveau chemin d’enfantement, qui nous invite à faire de notre vie un don, un présent. Amen