La religion ne s’impose pas, elle se propose, mais on ne choisit que ce que l’on connaît. « Ils choisiront quand ils seront grands » est trop souvent une manière de se dispenser d’une éducation religieuse quitte à la laisser aux mains des grands-parents ou de la paroisse.
L’adhésion religieuse fut longtemps une question familiale et sociétale. Aujourd’hui, être né dans un milieu chrétien ne semble plus être une garantie. Que de familles profondément croyantes ont des enfants très à distance par rapport à la foi, voire en opposition à elle. Sans doute sont-ils conditionnés par le climat de notre société, matérialiste, individualiste, et critique par rapport à toute religion, notamment par rapport à celle qui a marqué l’Europe.

Ne réduisons en effet pas la foi à sa pratique cultuelle. Elle est d’abord une manière de vivre, de s’engager. Est-on assez soucieux de cohérence évangélique ?
La situation majoritaire d’une religion devient tôt ou tard une convenance sociale dont on perd le sens profond. Par contre, les religions minoritaires transmettent mieux leur foi, révèle une récente enquête française (mars 2023). On y apprend que la transmission religieuse dans les familles catholiques est sensiblement plus faible que dans les familles juives ou musulmanes (1). Les milieux traditionalistes chrétiens transmettent aussi mieux la religion. Est-ce dû au traditionalisme ou à la situation minoritaire ?
Où sont les signes ?
L’humoriste Gad Elmaleh, dans son dernier spectacle, caricature gentiment – n’est-ce pas son métier ? – le manque de fierté des catholiques par rapport à leur religion. Qui, en effet, ose tout de go se déclarer catholique, voire – oh ! la gêne ! – pratiquant ?
Dans les familles catholiques, on a souvent pris distance par rapport à la régularité de la pratique religieuse et aux rites ancrés dans le quotidien. Or, ce qui n’est pas régulier finit par être oublié. « La leçon des 50 ou 60 dernières années est que la culture chrétienne ne peut pas survivre indéfiniment sans la foi, les pratiques, les comportements qu’ils ont engendrés et qu’ils entretiennent. On peut faire sans, pendant une génération, deux à la limite, mais guère au-delà », explique l’historien français Guillaume Cuchet (2).
Il fut un temps où, dans toutes les pièces des maisons chrétiennes, dans les magasins et même dans les restaurants, on pouvait voir quelque part, un crucifix. Aujourd’hui, dans les jeunes familles, ils ont disparu. Détail, dira-t-on. Pas si sûr. La vie est faite de signes. Sans doute les parents ont-ils dû un jour expliquer à leurs enfants pourquoi ils avaient tous deux au doigt la même bague. Si jamais l’enfant ne voit un crucifix dans la maison, posera-t-il la question – difficile, reconnaissons-le – du pourquoi Jésus est mort en croix ? Dans la culture juive, lors du repas de la Pâque, c’est le plus jeune qui inaugure le rite en interrogeant le père de famille sur le sens de cette fête.
La prière en famille n’a-t-elle pas aussi été oubliée ? Quand les enfants sont petits, cela va encore, mais quand ils deviennent adolescents, les parents abandonnent en même temps qu’eux ! Il serait si simple, autour de la table familiale, par exemple, de commencer le repas par une petite prière dont chacun, dans son intériorité, fera ce qu’il voudra.
Ils choisiront
La religion ne s’impose pas, elle se propose, mais on ne choisit que ce que l’on connaît. « Ils choisiront quand ils seront grands » est trop souvent une manière de se dispenser d’une éducation religieuse quitte à la laisser aux mains des grands-parents ou de la paroisse. Peut-être parce que cette éducation demanderait davantage de cohérence.
Ne réduisons en effet pas la foi à sa pratique cultuelle. Elle est d’abord une manière de vivre, de s’engager. Est-on assez soucieux de cohérence évangélique ? C’est toute la vie qu’une foi vraie imprègne. Peut-être une certaine « radicalité », à l’opposé d’une demi-mesure et d’une tiédeur, est-elle aussi une condition de transmission. Si 76 % des musulmans disent que la religion a beaucoup ou assez d’importance pour eux et 39 % des autres chrétiens, 27 % des catholiques seulement cochent cette case.
Aujourd’hui, le christianisme de tradition fait place à celui de conviction. Or, ce qui est fade ne se transmet pas. Un plat sans goût ne donne pas l’envie de se resservir.
Notes :
(1) 91 % des personnes élevées dans des familles musulmanes et 84 % dans des familles juives continuent à se revendiquer de la religion de leurs parents. Seuls 8 % des catholiques fréquentent régulièrement un lieu de culte, contre un peu plus de 20 % des autres chrétiens, des musulmans et des bouddhistes, et 34 % des juifs.
(2) Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? Seuil, 2021.
Une opinion de Charles Delhez sj
Publié le 14-06-2023 dans LaLibre.be